Nos frères les arbres
Communication, défense, entraide : les arbres seraient-ils des êtres sensibles ? Réponses de Christophe André sur le site Cerveau&Psycho.fr
Les hommes et les arbres partagent une longue histoire commune. Souvent divinisés par les religions antiques, sources d’ombre, de nourriture, de bois de chauffage et d’autres bienfaits, les arbres ont été célébrés et chantés de tout temps. On leur a aussi rendu de nombreux cultes, jusqu’à une époque récente, comme en attestent les arbres de la Liberté plantés lors de la Révolution française et tout au long du XIXe siècle (ils figurent aujourd’hui sur nos pièces de 1 et 2 euros). Ce lien est en train de s’enrichir encore, avec l’arrivée de nouvelles connaissances sur ce que Peter Wohlleben, forestier allemand auteur d’un best-seller récent sur ce thème, appelle « la vie secrète des arbres ». Il nous rappelle que les arbres ne se limitent pas à leur image de géants mutiques et bienfaisants, mais qu’ils sont une espèce vivante aux aptitudes complexes.
Ils sont par exemple capables de communiquer entre eux. Ainsi, un acacia de la savane africaine, lorsque des girafes commencent à brouter ses branches, augmente en quelques minutes la teneur en tanins de ses feuilles pour les en dissuader. Mais l’arbre prévient également ses voisins, en émettant de l’éthylène dans l’air, ce qui les incite eux aussi à rendre leurs feuilles impropres à la consommation. Les girafes le savent, et lorsque le goût des feuilles du premier acacia se modifie désagréablement, elles partent en brouter un autre, non pas dans le voisinage, mais à une centaine de mètres, ou en remontant au vent, pour le surprendre à son tour. Les arbres envoient aussi des messages d’alerte à leurs proches (en cas d’attaque d’insectes) par leurs racines entremêlées, cet immense réseau que les chercheurs appellent le wood-wide-web ! D’autres études ont montré que les graines et les racines des céréales émettent des fréquences à environ 200 hertz, qui incitent les autres plantes de leur espèce à pousser dans leur direction. Et les arbres s’entraident d’une autre façon : quand ils poussent ensemble, comme dans les forêts, ils ne reçoivent pas tous la même quantité de lumière, mais il existe alors un rééquilibrage souterrain, par le biais des racines, et un partage des nutriments.
L’ensemble de ces capacités explique ce fait bien connu des exploitants forestiers : de nombreux arbres, comme les hêtres, en poussant serrés, peuvent paradoxalement grandir plus vite et se révéler plus robustes que des individus isolés. Car il existe un système de redistribution des ressources, un peu comparable à nos systèmes d’aide sociale, qui permet aux individus moins bien lotis, dont les graines ont germé dans des lieux moins favorisés, de se développer.
L’entraide augmente la survie
Ainsi, le groupe améliore les chances de survie collective : si les individus défavorisés meurent, cela provoque des brèches dans la forêt, modifie son microclimat, expose davantage aux vents violents, ce qui finit par nuire aux arbres initialement avantagés. C’est aussi une des hypothèses expliquant pourquoi les séquoias qui poussent en Europe ne dépassent pas 50 mètres de haut, alors que leurs équivalents d’Amérique du Nord atteignent facilement le double : les européens grandissent seuls, dans des parcs ou des jardins, sans tribu autour d’eux, donc sans soutien ni informations partagées.
Des arbres qui se parlent, se défendent contre leurs agresseurs, échangent des informations et s’entraident ? Sans tomber dans l’anthropomorphisme, ces découvertes sont tout de même intrigantes. Manifestement, les arbres, comme l’ensemble du monde végétal, peuvent être considérés comme des êtres sensibles. Dans un autre livre passionnant, À quoi pensent les plantes ?, Jacques Tassin, chercheur en écologie végétale, nous pose une question inhabituelle : qu’est-ce qu’être une plante ? Et que ressent-elle vraiment ? À mesure que nos connaissances avancent, la situation des hommes, devenus l’espèce responsable de l’écosystème terrien, se révèle compliquée… Si on écoute par exemple les représentants du mouvement végan, il ne faut plus manger ni exploiter les êtres sensibles. Mais qu’allons-nous devenir ? Nous arriverons peut-être à ne plus manger d’animaux, mais comment renoncer à consommer des végétaux ? Heureusement, il n’existe à ce jour aucune revendication en ce sens…
Toutefois, les nouvelles données scientifiques nous poussent déjà parfois à ne pas maltraiter inutilement les végétaux. Honteux, Wohlleben raconte ainsi comment il retirait, lorsqu’il était un exploitant forestier non sensibilisé à ces questions, l’écorce de jeunes hêtres sur toute leur circonférence sur une hauteur de un mètre, ce qui les condamnait à mort (car c’est par l’écorce et la sous-écorce que circule toute la sève). Ce geste revient selon lui à écorcher vif un animal ou un homme.
Nous avons tout intérêt à respecter les arbres et le monde végétal, non seulement par respect de leur caractère sensible, mais aussi pour notre propre bien : la nature n’est pas seulement un réservoir de ressources alimentaires, c’est aussi une composante importante de notre santé, comme en attestent les nombreuses études sur les green effect et blue effect, autrement dit, sur les bienfaits pour la santé mentale de l’exposition aux espaces verts (campagne, forêts, parcs, jardins) et bleus (rivières, lacs, mers). Ces espaces naturels détendent, apaisent, et nous permettent d’éviter les ruminations et de supporter nos vies trépidantes. Décidément, plus que jamais, le XXIe siècle sera écologique ou ne sera pas…