Paul Geerts : « Il est minuit moins une »
Le secteur de la construction verte en Belgique se prépare à faire face à un tsunami. Le changement climatique et le betonstop vont considérablement changer le travail des architectes paysagistes, des entrepreneurs de jardins et des formateurs. Paul Geerts, le rédacteur en chef de CG Concept, met en garde : « Le secteur a intérêt à se réveiller rapidement ! »
Avec l’Annuaire 2020, CG Concept entend offrir un service supplémentaire au secteur des professionnels des espaces verts. Par qui d’autres pouvons-nous mieux commencer que par nous-mêmes?C’est ce que la rédaction a demandé à son rédacteur en chef, Paul Geerts.
Pourquoi éditer un Annuaire CG Concept en 2020 ?
Paul Geerts : L’édition d’un annuaire est pratique courante dans différents secteurs. Alors pourquoi pas pour celui du jardinage au sens large ? Il y a énormément de choses à dire.
Cet annuaire se concentre sur les tendances et les évolutions du secteur écologique. Selon vous, quel est le plus grand défi ?
Paul Geerts : Tout ce qui concerne le réchauffement climatique et ses conséquences : les implications pour le matériau végétal avec lequel nous travaillons, les conséquences pour les arbres, les vivaces et les graminées à court et moyen terme, etc. De nombreux travaux de recherche sont en cours à ce sujet. Au cours des dix, vingt ou trente prochaines années, nous allons devoir faire sérieusement attention à ce que nous pouvons ou ne pouvons pas ou plus planter dans les jardins et les espaces verts publics.
Selon les scientifiques, la Belgique se dirige vers un climat extrême : hivers doux et humides, vagues de chaleur et fortes averses en été.
Paul Geerts : Exactement et en tant qu’entrepreneur de jardins et architecte paysagiste, vous ne pouvez pas ignorer cette évolution. Le régime pluviométrique va aussi changer et sera marqué par de plus longues périodes de pénurie d’eau et de courtes périodes de précipitations très abondantes. C’est un défi, à la fois sur le plan de la création et sur le plan de la technique. Afin de nous protéger contre ces eaux diluviennes et ces pénuries, nous devons réfléchir à des systèmes pour nos jardins privés et pour les espaces verts qui entourent les maisons de repos, les hôpitaux et les complexes résidentiels. Comment gérer au mieux l’excès d’eau ? Comment le stocker et le réutiliser en cas de besoin ? Peut-être devrions-nous construire un réseau de canaux ou un système de stockage souterrain ? Cette eau, il faut bien la diriger quelque part. Mais nous devons aussi mettre au point des méthodes de revêtement de sol qui permettent à l’eau de s’infiltrer au lieu de l’évacuer dans le réseau d’égouttage. Les fabricants de béton et les producteurs d’asphalte s’y emploient. On vient de lancer sur le marché une dalle d’argile perméable. Comment capter l’eau dans les zones industrielles ? Les défis sont légion.
À quoi l’entrepreneur de jardins et l’architecte paysagiste vont-ils encore devoir faire face ?
Paul Geerts : Le betonstop (ndr : mesure du plan directeur flamand pour l’aménagement du territoire, adoptée en été 2018 ; cette mesure n’a pas encore d’équivalent en Wallonie). Je suis tout à fait d’accord que notre pays ne doit pas être complètement recouvert de béton, mais je trouve dommage que les parcs et jardins soient, comme les bâtiments, considérés comme une occupation du sol et soient donc touchés par la mesure du betonstop qui vise l’arrêt de l’artificialisation. Les jardins et les parcs ne sont bien sûr pas des espaces publics, mais leur rôle ne cesse de croître. Les jardins et les parcs sont essentiels pour l’homme, plus encore dans un monde densément peuplé et assurément à l’aube du changement climatique. Les hommes et les femmes politiques ont un rôle majeur à jouer à cet égard. Il en est de même pour la FBEP qui doit lancer le débat.
Cette question vous tient clairement à coeur.
Paul Geerts : Oui, parce que nombreux sont ceux qui ne semblent pas comprendre à quel point cette thématique est importante. L’écologie n’est pas qu’une question de climat et de biodiversité. L’écologie, c’est quelque chose dont il faut savoir jouir et apprécier. Il faut accorder plus d’attention à cet aspect. Tout comme le climat et la biodiversité. L’importance de pouvoir se détendre au milieu de la nature, de pouvoir y jouer avec les enfants… On n’en discute vraiment pas assez. Or, le besoin d’espaces verts ne fera qu’augmenter. Plus nous vivons ensemble, plus nous aurons besoin d’espaces verts publics et semi-publics. Ce sera une nécessité.
Nos professionnels des jardins et des espaces verts prennent-ils le problème suffisamment à bras le corps ?
Paul Geerts : Honnêtement, je ne pense pas. Il y a certes une évolution positive, mais tout va beaucoup trop lentement.
Il est donc minuit moins une ?
Paul Geerts : C’est une façon de voir les choses.
Selon vous, qui devrait prendre les mesures nécessaires pour que les changements indispensables se concrétisent ?
Paul Geerts : D’abord et avant tout, les autorités publiques en tant que clients et propriétaires. Deuxièmement, les écoles. Les méthodes que nous utilisons aujourd’hui ne conviendront peut-être plus dans dix ans.
Il existe aussi un grand besoin de formation continue pour ceux qui travaillent déjà, car d’importants changements vont se produire au niveau de l’emploi. Troisièmement, je pense à la Fédération belge des entrepreneurs paysagistes (FBEP). En matière de sensibilisation, elle a encore beaucoup à apprendre de son partenaire néerlandais, la VHG, qui déploie des efforts considérables. Elle offre des cours de formation, publie des brochures et entretient des contacts avec les villes et les municipalités. Tout ce que vous avez à faire est de cliquer sur son site web et vous obtenez directement des manuels sur les jardins vivants, les jardins de toiture, les jardins de façade, etc. C’est l’avenir.
Que doit faire exactement l’entrepreneur paysagiste ?
Paul Geerts : Affiner ses connaissances. Heureusement, aujourd’hui, les créateurs de jardins et les architectes paysagistes participent déjà plus tôt à un projet et plus seulement lorsque tout est construit. Cela signifie aussi qu’ils doivent disposer des connaissances professionnelles qui leur permettent d’influencer un projet. Je crains que cela ne soit pas toujours le cas. D’où mon appel à la formation ! En Belgique francophone, un établissement permet de suivre un master en architecture de jardin et architecture paysagère, alors qu’en Belgique néerlandophone, seul le niveau de bachelier peut être obtenu auprès de deux établissements. Dans l’intérêt de toutes les parties, tous ces programmes devraient devenir des masters. L’enjeu est double. Tous les architectes sont titulaires d’un master, alors que les architectes paysagistes terminent avec un diplôme de niveau inférieur. Rendez-les égaux et on fera alors plus de recherche de niveau universitaire.
Comment voyez-vous l’avenir des professionnels des jardins et des espaces verts à l’horizon 2030 ?
Paul Geerts : Je ne pense pas que le jardin privé disparaîtra. Pour des raisons sociales, la taille des jardins va diminuer. Après une journée de travail chargée, les jeunes parents n’ont plus envie de jardiner, mais cela ne signifie pas que les jardins privés ou les jardins communs vont disparaître. Il faudra juste les aborder de manière créative. Les professions de créateur de jardins et d’entrepreneur de jardins ne feront que devenir plus techniques. Sur le plan technique, les exigences vont se renforcer également, notamment suite à l’avènement de nouvelles technologies. Prenons l’exemple de la végétalisation des toitures et des façades. Il existe déjà un grand marché pour cela, mais si le secteur ne veut pas le perdre au profit du secteur de la construction, il devra travailler en étroite collaboration avec lui et acquérir lui-même le savoir-faire nécessaire
Vous-même, vous voyagez dans le monde à la recherche de projets verts inspirateurs. Où doiton aller chercher l’inspiration ?
Paul Geerts : À Paris, Milan, Rotterdam… Peu importe. L’essentiel, c’est l’intérêt que l’on accorde au poumon vert au coeur de la ville. L’objectif doit être de libérer de petits jardins de poche à proximité immédiate de la maison. Ce n’est pas que nous ratons le coche — on fait des choses intéressantes à Namur, Bruxelles ou Gand aussi —, mais au cours des dix années à venir, nous allons devoir rattraper le temps perdu. Et nous devrons regarder au-delà des frontières pour suivre le reste du monde !
Donnez-nous un exemple.
Paul Geerts : À Singapour, ils sont beaucoup plus avancés. L’empreinte au sol d’un bâtiment doit être entièrement compensée par de la végétation sur et autour du bâtiment. Des règles strictes s’appliquent : en fonction de la quantité de végétation que vous disposez à l’intérieur du bâtiment, vous pouvez construire plus haut. Vous pouvez obtenir jusqu’à 50 % de subvention. En dix ans à peine, ils ont déjà réalisé 100 hectares d’espaces verts dans une ville incroyablement dense. Je prédis que dans dix ans, ces obligations s’appliqueront aussi à nous.
Dans l’ensemble, pouvons-nous être satisfaits du niveau du secteur des jardins et des espaces verts en Belgique ?
Paul Geerts : Je dirais que oui. Dans l’ensemble, le travail effectué est techniquement de bonne qualité. Mais un nombre de défis technologiques majeurs se présente à nous : les arbres en ville, la verdurisation des façades, la réutilisation de l’eau, etc. De nombreux défis se profilent pour le secteur de la construction verte et cette prise de conscience doit mûrir d’urgence.
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