Les défis actuels exigent des solutions réfléchies
Nous connaissons la liste inquiétante des conséquences du changement climatique qui n’est plus un problème pour l’avenir, mais un défi pour le présent. Le stress thermique en milieu urbain, entrecoupé de pluies diluviennes semblables à celles de la mousson, est de plus en plus fréquent. D’autres défis, tels que la pollution des sols et de l’air, requièrent également une attention particulière, tout comme la transition énergétique, pour laquelle la réduction de la consommation d’énergie est un axe de solution clé. Tout cela appelle des solutions immédiates et une vision à long terme. S’il n’y a pas de consensus sur tous ces sujets, tout le monde semble s’accorder sur une chose : les plantes sont au cœur de la solution.
Tout appelle des solutions immédiates et une vision à plus long terme.
La nature apporte la réponse
La beauté de la nature se trouve dans le fait que l’évolution a déjà trouvé une réponse à de nombreux problèmes qui se posent dans la vie. Le monde végétal ne fait pas exception. Ainsi, les plantes poussent vraiment partout dans le monde, qu’il fasse froid ou chaud, sec ou humide. Au fil du temps, les plantes ont appris à s’adapter aux conditions les plus difficiles. Des solutions ont été élaborées par le végétal pour chaque situation. Certaines plantes se plaisent sur la parcelle ombragée d’un sol forestier sec et acide. D’autres aiment un sol sablonneux et pauvre qui cuit au soleil. Un grand arbre peut être envahi par des végétaux qui y grimpent et qui économisent leur énergie puisqu’ils ne fabriquent plus leur propre tronc. Certaines plantes de dunes s’adaptent aux brises de mer tourbillonnantes qui les saupoudrent de sel.
Profiter de l’expertise des producteurs
Si l’on veut utiliser la capacité des plantes à résoudre des problèmes de cette manière, il est indispensable de bien connaître les conditions dans lesquelles elles poussent dans la nature. Il existe un certain nombre de producteurs et de paysagistes qui sont spécialisés dans ce domaine. Dans cet article, quelques-uns d’entre eux sont sollicités pour partager leur amour des plantes et leur expertise. Ils fondent leurs conceptions et leurs conseils de plantation sur les connaissances acquises en travaillant avec et parmi les plantes. Ils s’inspirent de la nature, non seulement celle de leur pays d’origine, mais aussi celle du monde entier. Ils peuvent ainsi apporter des réponses concrètes aux défis qu’ils rencontrent dans leur travail. Il n’est pas question, pour eux, de donner des réponses standards, car chaque situation est différente et nécessite une solution sur mesure.
Commençons par interroger Piet Oudolf, célèbre en tant que designer, mais qui a commencé sa carrière comme pépiniériste, avec une vision claire des plantations. Il est l’un des fondateurs de la “Dutch Wave”, une vision du design qui a fait des émules dans le monde entier. Anne Bulk-Brylla prendra également la parole. Avec Mark Bulk, elle dirige la pépinière Bulk à Boskoop, qui propose des plantes intéressantes pour lesquelles Piet Oudolf a conçu une partie de jardin particulière. Tel un laboratoire végétal vivant, ce jardin présente un mélange inhabituel de plantes vivaces, d’arbres et d’arbustes. Enfin, Cor van Gelderen, de la pépinière PlantenTuin Esveld nous partagera son expérience. Il est né et a grandi parmi les arbres et arbustes d’exception de la pépinière de ses parents. En tant que concepteur de jardin, il a gagné ses lettres de noblesse avec des plantations inhabituelles. Il a publié plusieurs livres sur les plantes de jardin, dont le dernier, “Shining in the shade”, traite des plantes de jardin qui préfèrent pousser à l’ombre.
Utiliser d’autres plantes
En regardant vers l’avenir, y a-t-il d’autres plantes que nous devrions utiliser dans les jardins ? Piet Oudolf est clair : le jardin n’est pas la nature, c’est un sanctuaire que nous pouvons aménager comme bon nous semble. Le choix des plantes que nous voudrions utiliser doit être basé sur nos envies artistiques. Bien entendu, nous tenons compte des conditions du jardin, du type de sol, du vent et de la disponibilité en eau. Au fil des ans, Piet a commencé à intégrer des plantes, comme le chêne vert, qu’il n’aurait pas utilisé auparavant. Par contre, des palmiers dans les polders sont un choix à éviter. La sélection des plantes est en partie déterminée par le contexte. Ainsi, Piet utilise automatiquement plus de plantes indigènes aux États-Unis qu’aux Pays-Bas. En effet, la palette de plantes indigènes américaines est beaucoup plus large et intéressante que la palette néerlandaise.
Cor van Gelderen cite l’arbousier, ‘Arbutus unedo’, comme exemple d’une plante qu’il utilise de plus en plus souvent, en raison, entre autres, de l’influence du changement climatique avec des étés de plus en plus secs et chauds. Il cite encore le trèfle, ‘Clethra alnifolia’ qui, non seulement, tolère bien la sécheresse, mais peut aussi se maintenir dans un endroit très humide. Celui-ci est une véritable plante d’oued, qui s’irrigue très bien et qui dégage un agréable parfum sucré pendant la floraison.
Anne Bulk-Brylla cite l’’Elaeagnus umbellata’, un saule à feuilles caduques, comme exemple d’arbuste ou de petit arbre multifonctionnel. Sa fructification abondante, sa tolérance à la sécheresse et à l’humidité, ses feuilles décoratives gris-argenté sont autant d’aspects positifs sous-utilisés de cette plante.
Dans le jardin, n’ayez pas l’illusion de développer un écosystème équilibré.
Plantes exotiques ou pas ?
Piet Oudolf trouve absurde le débat de plus en plus fréquent sur l’utilisation des plantes exotiques dans les jardins. Le jardin n’est pas la nature. En outre, se demande-t-il, a-t-on suffisamment étudié le rôle que les espèces exotiques peuvent jouer dans l’ensemble de la chaîne alimentaire ? Dans la nature, on n’utilise pas d’espèces exotiques envahissantes, c’est évident, mais dans le jardin, il ne faut pas non plus avoir l’illusion que l’on peut développer un écosystème équilibré, et encore moins essayer d’y copier la nature du pays. Cor van Gelderen ajoute que les plantes sont trop souvent considérées comme des entités statiques. La plante individuelle peut être stable, mais les populations sont constamment en mouvement. Si les conditions sont favorables à une plante qui n’existe pas à l’état naturel ici, elle s’y installera de toute façon. Un oiseau qui mange une baie et rejette les graines à des dizaines de kilomètres d’où il l’a ingérée déplace la population végétale initiale. Sur un sol fertile, une plante qui ne s’y trouvait pas auparavant peut alors se développer de la même manière. De plus, ajoute Anne Bulk-Brylla, l’accent devrait être mis sur l’augmentation de la superficie de nos espaces verts, et non sur le remplacement d’un espace vert par un autre idéologiquement plus correct. Selon Anne, il est encore plus important d’insister sur le rôle que les pépiniéristes peuvent jouer pour faire prendre conscience des effets désastreux que l’utilisation de poisons, surtout dans les jardins privés, a sur la biodiversité. Dans les espaces publics, heureusement, on accorde beaucoup plus d’attention à ce problème.
Des plantes adaptées au climat
Développer des plantations adaptées au climat est un sujet qui, à la suite d’étés très secs et très chauds, est aujourd’hui en tête des préoccupations des acteurs du secteur vert. Mais, dit Piet Oudolf à juste titre, si tout va bien, vous avez toujours été concerné par ce sujet en tant que concepteur de jardins. Les plantes que vous utilisez doivent s’adapter aux conditions de terrain et ce ne sont pas les conditions qui doivent s’adapter à vos besoins. Si la plantation que vous avez conçue dépend d’un système d’arrosage permanent, alors vous n’avez pas utilisé les bonnes plantes.
Si la plantation que vous avez conçue dépend d’un système d’arrosage permanent, vous n’avez pas utilisé les bonnes plantes.
Selon Cor van Gelderen, la nature est évidemment la source d’inspiration pour l’aménagement d’un jardin. Mais cela ne signifie pas qu’il faille copier la nature à l’identique. Les principes de l’ordre naturel, selon lesquels chaque plante trouve et utilise son propre espace, constituent une base importante pour la réflexion sur l’aménagement des jardins. Si tous les espaces et toutes les possibilités sont bien remplis, la charge d’entretien est minimale. Piet Oudolf explique cela en prenant l’exemple de son propre jardin à Hummelo, où, malgré une superficie relativement grande, l’entretien est minimal, car l’espace est occupé par les plantes qu’il a lui-même choisies. De cette manière, les invités indésirables ne trouvent plus de place.
Pour les deux concepteurs, le ‘réensauvagement’ qui a été mis en avant dans de nombreux jardins lors du dernier Chelsea Flower Show, n’est pas plébiscité. Ils ne veulent pas appeler cette tendance comme de la paresse, mais ils ne pensent pas que cette conception ait grand-chose à voir avec le jardinage. Un jardin, souligne encore Piet Oudolf, n’est pas une réserve naturelle. C’est une entité à part entière, aménagée selon les souhaits de son propriétaire. Peu importe pour les deux concepteurs qu’il s’agisse d’un jardin potager, d’un jardin de cueillette de fleurs ou d’un jardin d’ornement. Pour Piet, la liberté artistique du concepteur est très importante.
Un jardin n’est pas une réserve naturelle. C’est une entité à part entière qui est aménagée selon les souhaits du propriétaire.
Connaissance appliquée des plantes
Piet et Cor s’accordent pour dire que la connaissance des plantes est l’élément essentiel à la conception et l’aménagement de jardin. Il ne s’agit pas seulement des connaissances du producteur qui apprend à cultiver ou à multiplier une plante dans sa pépinière, mais surtout des connaissances appliquées à l’utilisation des plantes sur le terrain. L’observation de la nature est très importante à cet égard. Piet Oudolf donne l’exemple du ‘Calamintha’, qui se porte beaucoup mieux dans son habitat naturel aux États-Unis qu’aux Pays-Bas, probablement sous l’influence d’une plus grande intensité lumineuse. Mais ce savoir expérimental, acquis en observant beaucoup, en essayant, en évaluant et en apprenant de ses propres erreurs, ne s’acquiert pas rapidement. Cor van Gelderen cite également l’exemple de l’échinacée, une plante vivace souvent éphémère, dont la vitalité de l’ensemble de l’assortiment a été évaluée dans le cadre d’un essai en plein champ par l’Association royale pour les cultures de Boskoop (KVBC). En tant que concepteurs, cela permet de choisir les variétés les plus robustes et donc les plus durables. Tous deux s’accordent à dire qu’il n’en reste que très peu que l’on peut utiliser en toute sécurité, ‘l’Echinacea pallida’ étant peut-être la plus fiable.
Il faut également tenir compte de la succession naturelle des plantes. Pour en rester à l’Echinacée, si vous l’utilisez en combinaison avec, par exemple, l’Amsonia, vous constaterez que l’Amsonia, qui se développe lentement, sera heureuse pendant les premières années où une partie de l’espace sera occupée par l’Echinacea, mais qu’avec le temps, l’échinacée disparaîtra, ce qui n’est pas un problème, car l’espace sera alors occupé par l’Amsonia.
C’est encore plus vrai pour les arbres et les arbustes. Ceux-ci forment le squelette du jardin et occuperont une part croissante de l’espace de plantation disponible. Cor van Gelderen donne l’exemple d’un jardin qu’il a conçu au début de ce siècle, dans lequel la proportion de plantes vivaces a diminué au fil du temps, passant de septante à trente pour cent. Mais comme les arbres et les arbustes se sont trouvés au bon endroit à l’époque, le tableau est encore équilibré aujourd’hui. De plus, la propriétaire a eu moins d’entretien à gérer, ce qu’elle considère comme un avantage non négligeable à son âge.
Anne Bulk-Brylla estime qu’une application relative à la connaissance des plantes peut apporter un soutien à la profession, mais ne pourra jamais remplacer l’expérience et la connaissance des producteurs et designers de jardins. En effet, il ne s’agit pas seulement de pouvoir donner un nom à une plante, mais surtout de pouvoir l’utiliser en fonction de ses besoins et de ses possibilités, ou de comprendre les caractéristiques et propriétés d’une plante. Il faut, par exemple, savoir comment les racines d’un arbre se comportent sous le trottoir. Ces connaissances existent, il faut les utiliser. Ne laissez surtout pas les pavés se soulever, abattre l’arbre et le remplacer par un spécimen plus jeune de la même espèce, répétant ainsi le problème. Il faut choisir tout de suite la bonne espèce.
Il ne s’agit pas seulement de pouvoir donner un nom à la plante, mais surtout de pouvoir l’utiliser en fonction de ses besoins et de ses capacités.
Conception d’espaces publics
Dans le domaine de l’espace public, Piet et Cor ont tous deux acquis beaucoup d’expérience. Ils estiment que souvent leur rôle n’est pas toujours simple. De nombreux facteurs jouent un rôle dans le processus de planification et limitent considérablement la marge de manœuvre du concepteur. Ce n’est pas toujours le cas, mais souvent les considérations officielles ou financières jouent un rôle trop important dans les options prises. Cor van Gelderen cite l’exemple d’une commune où il avait présenté un plan audacieux pour le centre-ville. Après avoir tenu compte des remarques des propriétaires, de l’association des commerçants, des pompiers, de la police, du service de ramassage des ordures, du service des parcs et d’une douzaine d’autres clubs, il ne restait de sa proposition que l’installation de quelques jardinières et zones de plantation autour de l’hôtel de ville.
Ici aussi, la connaissance des plantes joue un rôle primordial. Surtout si, comme aiment le faire les deux concepteurs, des plantations dynamiques sont créées. Il faut alors bien comprendre comment ces plantations se développent. Mais, pour un service d’espaces verts publics, le choix d’une solution standard sûre,proposée par un soumissionnaire spécialisé dans le rapport aux municipalités, est souvent la meilleure solution possible. Pour Piet Oudolf, c’est une bonne raison de ne plus agir à ce niveau, mais de se limiter aux clients privés et aux institutions artistiques.
Pour un service d’espaces verts, une solution standard sûre est souvent la meilleure possible.
Ceci nous ramène au début de cet article. La verdurisation peut jouer un rôle pionnier important pour répondre aux questions que nous nous posons sur le changement climatique, le stress thermique, la pollution de l’air et le déclin de la biodiversité. Donner aux concepteurs qui ont de l’expérience et des connaissances en matière de plantes l’espace dont ils ont besoin leur permettra de formuler de bonnes propositions pour répondre au problème.
Texte : Piet Oudolf, Anne Bulk-Brylla et Cor van Gelderen
Matériel visuel : PlantenTuin Esveld, Mark Bulk, Shutterstock.com